
Entretien avec Olivier Guillemain, directeur de l’association Entre les lignes
Nous vivons actuellement une crise sanitaire sans précédent. Ce type de période est propice au développement de fausses informations sur Internet et à la panique généralisée. Comment aider nos enfants et nos jeunes à décrypter le vrai du faux ?
Le premier réflexe à avoir est toujours de commencer par se poser une question toute simple : Qui me parle ? Une question de bon sens qui va en appeler d'autres, immédiatement : Quelle est la source de cette info ? Est-ce quelqu'un de connu ou d'anonyme ? Puis-je lui faire confiance ? Est-ce que cette personne pourrait avoir un intérêt à relayer cette information ? Une fois ces premières questions balayées, sortez votre panoplie d'enquêteur et tentez de confirmer ou d'infirmer cette information. Comment faire ? Tout simplement en allant chercher si d'autres sources ont parlé de ce sujet. En journalisme, ou en éducation aux médias et à l'information (EMI), on appelle cela « croiser ses sources ». Et plus vous en aurez, moins vous aurez de chances de tomber dans le piège d'une fausse information.
Deuxième réflexe : se méfier des images qui accompagnent les fausses informations. Bien souvent, les images choisies sont spectaculaires car elles ont pour objectif de jouer sur nos émotions. Parfois, il s'agit tout simplement d'un montage. Là aussi, des outils très simples existent pour vérifier l'authenticité d'une image : la recherche inversée de Google Image ou sur son smartphone, l'application Image Hunter. En un copié-collé, vous pourrez alors voir s'il s'agit d'une image qui a déjà été utilisée dans un autre contexte ou s'il s'agit tout simplement d'un montage.
Troisième réflexe : traquer les incohérences ou les zones de flou. Vous devez faire en sorte que certaines choses que vous lisez allument automatiquement des gyrophares dans votre cerveau : l'usage du conditionnel; des témoins anonymes; des phrases qui commencent par « il paraît que », « on m'a dit que » ou « apparemment ». A vous également de faire attention à la date de publication car bien souvent, des petits malins publient de vieux articles pour semer la confusion.
Et si après tout ça vous avez toujours un doute ? Vous pouvez toujours vous rendre sur les sites de médias traditionnels qui ont des services de fact-checking très performants (Les Décodeurs, AFP factuel, Checknews...). Tous les jours, ces journalistes professionnels sont chargés de « debunker », c'est à dire démonter les fausses informations qui se transmettent aussi vite qu'un virus. Et si vous avez un doute sur un site internet, vous pouvez également utiliser deux outils très pratiques : le Decodex et Newsguard.
Dernier conseil : quand vous avez un doute sur une information, ne la partagez pas. On appelle cela « l'éthique du partage » et c'est un outil de lutte très efficace contre la propagation des fausses informations.
Les enfants et les jeunes sont, malgré eux, submergés d’informations. Presse généraliste en ligne, réseaux sociaux, radio, télévision, … Comment les adultes peuvent les accompagner dans le suivi de l’actualité ?
Je vais vous répondre par une pirouette mais si les adultes ne font eux-mêmes pas attention, comment peuvent-ils être capables d'aider leurs enfants ? Car on le sait bien, et c'est tout à fait naturel : un enfant a, en règle générale, fondamentalement confiance en ses parents. Et si à la maison, en cette période de confinement, les parents relaient sans filtre des fausses informations sur le Covid-19, les enfants le prendront pour argent comptant et relaieront à leur tour ces fausses informations à leurs amis.
En ces temps d'emballement médiatique, le premier conseil que l'on pourrait donner serait de s'informer moins, mais mieux. Car le risque, dans ce genre d'actualité dominante, est de vouloir chercher à tout prix à comprendre ce qu'il se passe, à trouver des réponses immédiates. On entre alors dans une spirale de sur-information qui génère, paradoxalement, encore plus d'angoisses. Concrètement, cela signifie qu'il vaut mieux s'informer par exemple deux fois dans la journée, à des moments précis, avec des médias de confiance, plutôt que de se sur-informer toute la journée et au final, ne plus savoir trier dans le flux d'informations que l'on a reçues.
Un autre conseil, même s'il est très difficile à tenir, est de se tenir éloigné le plus possible des réseaux sociaux dans ce genre de moments. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'ils sont le réceptacle de toutes les angoisses du moment, amplifiées au possible, et que les réseaux sont précisément là où circulent le plus de fausses informations. Dans ces moments-là, on assiste aussi à un phénomène où chacun commence à s'improviser médecin, virologue, ministre de la Santé ou président de la République. Certes, nous avons le droit de nous poser des questions, en tant que citoyen, et c'est tout à fait légitime. Mais peut-être que dans ces moments assez irrationnels, le plus sage est de rester chacun à sa place.
On parle des réseaux mais on pourrait également parler des messageries instantanées de type WhatsApp ou Messenger. Elles aussi regorgent de faux contenus et de complots. Qui n'a pas reçu, dès dimanche dernier, alors même que le président de la République n'avait pas encore annoncé les mesures de confinement, un message (source : Sénat, Assemblée nationale, Préfecture) annonçant la mise en place d'un couvre-feu et le déploiement de l'armée dans nos rues ?
Une dernière chose, peut-être, dans cette logique d'accompagnement des enfants, est tout simplement de leur parler, de leur poser des questions. Car ils n'ont peut-être pas les mêmes que vous...
L’association Entre les lignes a dû suspendre ses ateliers dans les collèges et les lycées dans lesquels elle intervient. Comment peut-on assurer la continuité pédagogique de ces ateliers à la maison ?
Comme beaucoup d'autres associations qui interviennent dans des établissements scolaires, nous avons dû annuler des dizaines d'ateliers prévus au cours des prochaines semaines. Mais pour ceux qui ont envie de faire de l'EMI pendant cette période de confinement, le Clemi a lancé une initiative assez intéressante : transformer sa traditionnelle « Semaine de la presse dans les écoles » en « Semaine de la presse et des médias à la maison ». Sur leur site internet, des dizaines de ressources sont ainsi disponibles ainsi que des guides pour les parents, enfants et ados.
Au rayon des initiatives à saluer également, plusieurs éditeurs de presse jeunesse ont également rendu gratuits leurs contenus le temps de la fermeture des établissements scolaires. C'est notamment le cas du groupe playBac Presse, qui édite des contenus allant de 6 à 20 ans.
Dans le cadre de nos activités et de notre partenariat privilégié avec l'AFP, l'association Entre les lignes a par ailleurs développé des ateliers destinés aux jeunes publics. Ils ont été conçus pour des enseignants, qui via le Clemi, peuvent bénéficier d'un accès libre aux fils AFP.
Pour en savoir plus sur ce projet soutenu par le Fonds du 11 janvier, lisez la présentation détaillée de l'association Entre les lignes.